Samuraïs et Samurailles vont à l’école
Faouzi Mejdoub
Faouzi.mejdoub@gmail.com
Et pas à n’importe quelle école, s’il vous plait ! Celle du management. C’est les 28 et 29 Mai que s’était tenu cette école à l’initiative de notre samuraille de service, Mme Afef Chellouf et de notre maître es-aïkido Kaïs Mejri sensei (2ème Dan). Cette école était réellement atypique à plus d’un titre.
Tout d’abord de par le thème abordé « Aïkido et Management ». Programme ambitieux qui tend à établir une corrélation entre les principes de l’Aïkido et les principes du Management. L’expert invité pour la circonstance est Eric Hubler sensei (trente année de pratique d’arts martiaux). Cette école est aussi atypique de par la composition de ses participants jeunes qui ont pratiquement tous entre la vingtaine et la trentaine (…….d’années professionnelles derrière eux). Et comme on continue de nager dans l’atypique, cette école s’est tenue dans un cadre et des conditions conviviales dont rêveraient pas mal d’élèves, et pas que les cancres. Comme une vraie école traditionnelle anglaise nous étions tous en uniforme, mais en fait au lieu du Blaser c’était le Kimono. Une salle de classe de rêve où il n’y avait ni chaise ni table, rien que des tapis (Tatami, en Japonais) pour sauter et rouler. Il n’y avait même pas la fameuse estrade à partir de laquelle les maîtres de notre enfance nous prenaient d’en haut et nous écrasaient de leur suffisance. Au contraire Eric Hubler sensei avait sa place parmi nous sur le tapis, et petite confidence, c’est lui qui nous poussait à sauter et à nous rouler par terre.
Et ce n’était pas tout : il nous mettait en ligne face aux miroirs, nous demandait de faire des pas en tournant dans les quatre directions et de finir par un beau cri convaincant, et si ce n’était pas le cas, il nous le faisait répéter : il voulait ce cri tellement fort qu’il nous demandait de le sortir du ventre. Vous imaginez cela ? le maître de classe qui pousse ses élèves à chahuter. C’était vraiment touchant de voir comme il insistait pour nous faire crier. Et plus nous crions fort, et plus il était heureux. Je ne sais pas quel est son problème, mais il doit en avoir un ! Vous pensez comme on était content : une fois que c’était parti, il ne fallait pas trop nous pousser, on y allait volontiers. On était chauffé au gaz comme on dit, et c’est peu dire pour les Samuraïs et samurailles de la STEG (la Société Tunisienne de l’Electricité et du Gaz, pour les non-initiés).
L’ambiance était vraiment électrique, et le courant passait bien entre les élèves et Eric Hubler sensei. Comme je vous le disais, c’est le rêve de tout élève. Et la cerise sur le gâteau, c’est que dans cette salle de classe il n’y avait même pas accrochés aux murs les cadres d’usage avec les auxiliaires Etre et Avoir conjugués à tous les temps, ou les tables de multiplication. Au contraire il y avait de grands panneaux de miroirs pour nous permettre de voir nos pitreries. Et comme pour nous inviter à nous débrider, notre maître du jour n’a pas hésité à se faire aider par une phrase du fondateur de l’Aïkido, O’sensei Morihei Ueshiba : « l’Aïkido doit se pratiquer de manière vibrante et joyeuse ». Eh bien allons y pour la joie !
Encore une fois, en face des miroirs, tous les Samuraïs et samurailles devaient tournoyer, sur des pas de valse (qui, dans le style japonais, devient ce qu’on appelle Taï-Sabaki) en esquissant le signe de l’infini avec la main : avec nos kimonos blancs, on aurait pu facilement nous prendre pour des Derwiches tourneurs dansant sur un air de Strauss à la grande patinoire de Tokyo.
Moi je vous le dis, des écoles comme cela on en redemande ! Merci la STEG.
Samuraïs et Samurailles se re-centrent
A travers les principes de base de l’Aïkido, qu’on expérimentait dans le Dojo, Eric Hubler sensei nous invitait à la réflexion et à l’échange partant de notre vécu et de notre expérience professionnelle. Le 1er principe porté à notre réflexion est celui du « centrage ». Personne parmi les Samuraïs et samurailles n’a été capable de savoir que notre centre (le HARA comme disent les Japonais) se trouve au bas de notre ventre. J’explique pour les agents de la Steg qui n’ont pas assisté au stage, ainsi que pour ceux qui devaient assister et qui ont « séché », que la zone du Hara se situe à 4 doigts après le pouce posé à hauteur du nombril. Tous nos apprentis guerriers ont été abasourdis par la révélation : ce n’est pas notre tête, ni notre oreille interne, qui constituent notre zone d’équilibre, mais la zone située sous notre nombril. Pour une révélation, c’en est une ! Oui monsieur, c’est scientifique et c’est prouvé, on ne discute pas!
Déjà que le maître Eric Hubler nous demandait de sortir le fameux « Kiaï » (cri en japonais) de notre bas ventre, et qu’il nous révèle maintenant que c’est là que se situe notre zone d’équilibre, je comprend mieux maintenant pourquoi les Samuraïs quand ils ont perdu l’honneur, qu’ils sont déséquilibrés et qui veulent surtout se taire à jamais, c’est cette zone là qu’ils vont tailler avec leur lame en faisant « Hara-Kiri ». ( NB= attention pour les non-japonophones « Kiri » s’écrit avec un K et en un seul mot).
Samuraïs et Samurailles harmonisent leurs énergies
Voilà, maintenant que nous sommes bien situés dans l’espace, en parfait équilibre sur nos jambes, le maître nous invite à nous intéresser à notre énergie (Ki, en japonais) et à son harmonie (Aï, en japonais). Vous l’avez deviné, on ne peut rien vous cacher, il s’agit de « Aïki » les 2 premières composantes du nom de cet art martial : Aïkido (on verra le « Do » plus tard).Eric sensei parle « d’harmonisation des énergies », mais attention amis de la Steg ne nous égarons pas ! Il ne s’agit ni d’énergie fossile, ni d’énergie solaire, ni d‘énergie éolienne. Il s’agit en fait d’harmoniser notre énergie propre, à savoir notre « Ki », avec l’énergie de l’autre et l’énergie de la nature : une inter-connexion de réseaux en quelque sorte. Dans ce triangle, une première harmonisation intéresse notre propre énergie et passe par les notions d’équilibre, d’efficacité, de paix intérieure et de bonheur.
Une deuxième harmonisation passe à travers la rencontre avec l’énergie de l’autre (le partenaire ; le vis-à-vis ; l’adversaire ; l’associé). De cette rencontre des 2 énergies on peut concevoir une harmonie relationnelle et une construction collective.
Le 3ème angle de ce triangle est le niveau qui s’occupe de l’harmonisation avec l’énergie de la nature. Cet aspect passe par les notions d’éléments naturels et environnement global, par le respect de la vie sous touts ses formes, et la notion de durabilité.
Amis de la Steg, toutes ces notions tirées de l’aïkido ont eu leur illustration tant au niveau de la pratique en Dojo, que de la réflexion à laquelle on était convié les après-midi en salle de cour (et tenue de ville).
Samuraïs et Samurailles s’engagent dans la voie
Cette quête du « Do » de l’aïkido (et non pas de ma clarinette) va nous amener à nous engager dans la voie (qui est le Do en japonais). (NB = Judo est la voie de la souplesse ; Aïkido est la voie de l’harmonie du Ki ; Kendo est la voie du sabre…). S’engager dans la voie c’est s’engager à faire preuve de patience et confiance en soi, de faculté d’adaptation, du dépassement de soi par la recherche du défi, de l’engagement sincère et fidèle, le tout en gardant toujours l’esprit du débutant, l’éternel apprenant.
Samuraïs et Samurailles apprennent à déchiffrer les codes japonais
La voie de l’harmonie du Ki ! mince, quel programme ! Pourquoi faut-il toujours que les asiatiques tournent les principes de la bastogne en concepts philosophiques ? Tenez, prenez l’exemple de la Boxe (anglaise) : tout est simple ! il n’y a pas d’explications alambiquées, on en met plein la figure à l’autre, on lui fait une tête carrée, et le dernier debout a gagné, sans aller chercher ni Ki ni Kiaï. Heureusement quand même que les arts martiaux japonais existent pour permettre à la société « Altamira » de prospérer, sinon vous imaginez la peine du Coach Eric Hubler en train d’animer des séminaires sur « la Boxe et le Management », et d’être obligé de croiser les gants sur le Ring avec les participants ? Ne nous égarons pas, restons centré sur notre cœur du sujet ! A ce propos, d’après les enseignements d’Eric Hubler sensei, le cœur, le corps et l’esprit sont les vecteurs par lesquels passe la maîtrise de soi. Le corps s’exprime à travers une attitude matérialisée par une posture et une gestuelle particulières.
La respiration et sa maîtrise fait aussi partie de ce processus. Ce corps a besoin d’une hygiène de vie irréprochable avec une attention particulière pour l’alimentation, le sommeil et les activités physiques. Outre le corps, la maîtrise de soi passe à travers le cœur qui s’exprime à travers une certaine gestion des émotions faite entr’autres de positivité, d’équilibre et de sérénité. Dans ce processus de maîtrise de soi, l’esprit quant à lui est matérialisé par un mental apaisé au niveau des flux de pensées, et qu’il faut exercer à voir la réalité telle qu’elle est ! La méditation est très recommandée à ce titre là ! D’ailleurs nous avons eu droit dans le Dojo à notre séance de méditation. C’était un moment très fort ! nous étions tous déconnectés de tout ce qui nous entourait et on ne pensait à rien (..ou presque) : à part ma curiosité de savoir ce que faisait le photographe qui nous filmait, et deux ou trois autres trucs pas très méchants, j’étais profondément déconnecté de tout : je ne pensais ni au travail, ni au pain que j’allais acheter avant de rentrer à la maison, ni à la facture de la Steg que j’aurais dû payer la veille. Et je suis sûr que tous les autres étaient aussi détachés que moi. C’était un moment de grande communion.
Samuraïs et Samurailles à l’école de la vertu
Nos apprentis guerriers ont eu droit aussi au déchiffrement par le management des 7 vertus essentielles du Budo (la voie martiale en japonais) : 1/Bienveillance et générosité ; 2/Honneur, respect et politesse ; 3/Sincérité ; 4/Courage ; 5/Humilité ; 6/Sagesse ; 7/Droiture et loyauté. Les 7 vertus qui sont d’ailleurs symbolisées par les 7 plis de la jupe-culotte que portent traditionnellement les pratiquants de l’aïkido (on l’appelle Hakama en japonais). Oui ami de la Steg, vous avez bien lu « jupe-culotte », et vous vous demandez si c’est sérieux tout ça !
Ce que je peux vous dire c’est que c’est ce qu’il y a de plus sérieux, et pour cause : il vaut mieux une jupe-culotte longue qui traîne par terre comme le Hakama, que le Kilt écossais qui s’arrête au-dessus des genoux. Imaginez l’embarras de nos samuraïs pour lesquels le Hakama, long, ample et traînant par terre, doit servir à masquer la posture des pieds et le sens du déplacement du guerrier en situation de combat. Donc qu’on ne s’y trompe pas, la longueur de la jupe n’a rien à voir avec la vertu dont il est question dans ce chapitre. Les 7 vertus énumérées plus haut constituent le code qui régissait les rapports du Samuraï avec ses confrères et ses victimes : tuer, d’accord ; pour le compte d’un seigneur, je veux bien ; mais dans le respect de la personne humaine et la dignité ! Et c’est ce message séculaire des anciens Samuraïs qui a trouvé son application dans le domaine du Management. Il est vrai qu’on assimile souvent le monde des affaires aujourd’hui à une Jungle, c'est-à-dire un environnement sans éthique où prévaut la non-loi : le message d’outre-tombe des anciens Samuraïs est venu mettre un peu d’ordre dans tout cela. Et c’est à nos Samuraïs et Samurailles de la Steg que revient la lourde charge de gérer cet héritage dans la gestion de leurs attributions professionnelles et dans leur vécu quotidien.
Samuraïs et Samurailles dans leurs relations à l’autre
Durant cette école de 2 jours il a été beaucoup question de la notion d’équilibre : à différentes occasions ont été évoqués le centre de gravité, la verticalité, le déplacement, l’esquive, la sphère personnelle… L’équilibre relationnel n’est pas demeuré en reste. En effet Eric Hubler sensei a illustré sur le Tatami, et a déchiffré en concepts de Management les « 6 leviers de l’efficience dans la relation à l’autre ». Les notions qui gèrent ces rapports avec l’autre, que ce soit en environnement agressif (notamment les situations de combat), ou en gestion des affaires et des conflits inter-personnels, ont été largement commentées par nos élèves guerriers. Nos gentils Samuraïs et nos gentilles Samurailles se sont révélés de redoutables combattants qui ont vaillamment fait face à 3 et 4 agresseurs simultanément (croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en Enfer !).
Eric sensei a fait asseoir tout le groupe sur le Tatami, ensuite il a invité chaque élève à tour de rôle, à venir se mesurer à des agresseurs incarnés par lui-même accompagné de Abdelaziz Mokhtari sensei (1è Dan), Kaïs Mejri sensei (2è Dan), Riadh Helal sensei (3è Dan), ainsi que Afef Chellouf Samuraille-chef (4è Kyu) : rien que du beau monde en apparence. Ces agresseurs n’ont eu aucun mal à incarner leurs personnages, par contre ils ont en eu quand ils se sont retrouvés projetés dans les 4 directions par nos valeureux élèves. Et là certaines natures se sont révélées : je ne citerai à titre d’exemple que le cas de cet élève Samuraï, Directeur de son état, qui a passé pendant les 2 jours plus de temps accroché à son téléphone portable qu’aux enseignements de notre Eric Sensei, mais qui en situation de combat a fait montre de beaucoup d’instinct par ses projections, ses esquives et ses déplacements.
Il a su tirer parti, avec un fort taux d’instinct, des 6 leviers de l’efficience en gérant au mieux les notions de Terrain, de Timing, de Distance (ma-aï en japonais) de Force, de Rythme et de Direction. On était quelques uns à être sidérés et je n’ai pas manqué de le lui dire à la fin de la séance. Mais force est de constater que tous les Samuraïs et les Samurailles se sont comportés en vrais guerriers, qu’ils ont fait montre de beaucoup de courage et de détermination, qu’ils ont poussé le sens du sacrifice jusqu’au bout, et que la STEG leur sera à jamais reconnaissante.
A toutes ces femmes et ces hommes qui ont vaillamment combattu sur le tatami, la STEG conservera à jamais le souvenir de leurs actes héroïques imprimés sur la pellicule de la caméra du photographe de la STEG, avec une copie dans les archives de la société. Que leur exemple serve à illustrer le management de la STEG de demain, ce style de management si chèrement acquis sur le tatami, au prix de tant de sueur et de crampes, sous la conduite d’un maître qui ne connaît pas la pitié, qui nous pousse à bout et nous ordonne de crier.
Notre grande consolation dans tout cela est que nous n’étions pas seuls dans l’épreuve : à chaque fois que l’un de nous faiblissait il lui suffisait de puiser le courage dans l’attitude sereine et digne du PDG de la STEG (ceinture noire de son état) qui a tenu à descendre sur le tatami, qui a transpiré autant que nous, qui a été comme nous tous lâchement agressé par les 4 méchants de service, qui a partagé avec nous l’eau et le sel, ainsi que notre frugal repas. Nous étions tous unis dans l’épreuve, nous partagions les mêmes tranchées sous la bannière de la STEG et avec pour seul mot d’ordre, le management de demain. Nous sommes tous fiers de dire : « l’école de la STEG, j’y étais ». Et à Eric Hubler Sensei, notre instructeur en chef, nous disons : « Chef, merci chef ! A quand la prochaine, Chef ? ».
Martialement votre
Faouzi Mejdoub
Faouzi.mejdoub@gmail.com
Cher Faouzi,
RépondreSupprimerJe te remercie pour ton mail et c'est avec plaisir que j'ai fait ta connaissance à l'occasion de ce séminaire. J'ai apprécié nos échanges et tes interventions opportunes...
Merci pour l'article très bien rédigé et plein d'humour qui plaira sans doute aux lecteurs.
Au plaisir d'un prochain contact et excellente continuation pour toi et les tiens.
Amitiés
Eric